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foraine, et des hurrahs ! poussés par les Allemands égayés.

Tout ce tintamarre sortait d’une maison blanche située à cinq cents mètres de nous. Nous pouvions distinguer les silhouettes d’êtres entrelacés qui valsaient et tournoyaient dans une vertigineuse bacchanale. Je m’énervais outre mesure, car cela menaçait de durer jusqu’au jour.

Je descendis avec Villaret, pour, tout au moins, nous dégourdir les membres. Je l’entraînai vers la maison blanche ; puis, ne voulant pas lui faire part de mon idée, je le priai de m’attendre. Mais, très heureusement pour moi, je n’eus pas le temps de franchir le seuil de cet ignoble bouge : un officier fumant une cigarette sortait d’une petite porte. Il m’adressa la parole en allemand. « Française », lui répondis-je. Alors il s’approcha et me demanda en français (ils parlaient tous français) ce que je venais faire là.

J’avais les nerfs tendus, et je lui racontai fiévreusement notre lamentable odyssée depuis notre départ de Gonesse, et enfin notre attente depuis deux heures dans un wagon glacé, pendant que chauffeurs, mécaniciens et conducteurs dansaient là, dans cette maison.

« Mais je ne savais pas qu’il y eût des voyageurs dans un de ces wagons ; et c’est moi qui ai permis à ces hommes de danser et de boire. Le chef de train m’a dit qu’il conduisait des bestiaux et des marchandises et n’avait besoin d’arriver qu’à huit heures demain matin ; je l’ai cru. — Eh bien, monsieur, les seuls bestiaux se trouvant dans le train, ce sont huit Français ; et je vous serais très obligée si vous pouviez donner l’ordre qu’on nous fasse continuer notre voyage, — Soyez tranquille, Madame. Voulez-vous entrer chez