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Il m’offrit son bras valide. Je refusai de le prendre. Il s’inclina. Et je le suivis en silence accompagnée par Mlle Chesneau.

Arrivées dans son bureau, il nous fit asseoir à une petite table sur laquelle étaient préparés deux couverts. Il était trois heures de l’après-midi. Nous n’avions rien pris. Pas une goutte d’eau depuis la veille au soir. Je fus sensible à cette bonne pensée et nous fîmes honneur au repas très simple, mais très réconfortant, du jeune officier.

Pendant que nous déjeunions, je le regardais à la dérobée : il était très jeune, et son visage portait les traces de souffrances récentes. Et je me prenais d’une pitoyable tendresse pour le malheureux éclopé de la jambe pour toute sa vie. Et ma haine contre la guerre s’augmentait encore.

Tout à coup, il me dit en assez mauvais français : « Je crois que je peux vous donner des nouvelles d’un de vos amis. — Son nom ? — Emmanuel Bocher. — Ah ! oui, certes, c’est un bon ami… Comment va-t-il ? — Il est toujours prisonnier, mais il va très bien. — Mais je croyais qu’il avait été relâché ? — Quelques-uns de ceux pris avec lui, parce qu’ils ont donné leur parole de ne plus porter les armes contre nous ; mais, lui, a refusé de donner sa parole. — Ah ! le brave soldat ! m’écriai-je malgré moi. » Le jeune Allemand leva sur moi son regard clair et triste : « Oui, dit-il simplement, brave soldat. »


Notre déjeuner terminé, je me levai pour rejoindre les autres voyageurs, mais il me dit que le wagon commandé pour nous emmener ne serait là que dans deux heures. « Et veuillez vous re-