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Nous étions là depuis un quart d’heure peut-être, quand une voix connue frappa mon oreille : c’était un de mes amis, René Griffon, qui, ayant appris mon départ, avait voulu me rejoindre pour me dissuader. Mais sa peine fut perdue : je voulais partir.

Le général revint quelque temps après. Griffon s’inquiéta de ce qui pouvait nous arriver. « Tout ! lui répondit l’officier, — et pire que tout ! » Griffon parlait l’allemand, et eut avec cet officier un colloque à notre sujet ; ce qui m’agaçait un peu, car, ne comprenant pas, je me figurais qu’il excitait le général à nous empêcher de partir. Mais je résistai aux prières et aux supplications, même aux menaces.

Quelques instants après, une voiture très bien attelée s’arrêta à la porte du hangar. « Voilà ! me dit brutalement l’officier allemand. Je vais vous faire conduire à Gonesse, où vous trouverez le train d’approvisionnement qui part dans une heure. Je vous recommande au chef de gare, le commandant X... — Après, que Dieu vous garde ! »


Je montai dans la voiture du général et dis au revoir à mon pauvre ami désespéré.

Nous arrivâmes à Gonesse et descendîmes devant la gare, où se trouvait un petit groupe de personnes causant à voix basse. Le cocher me fit le salut militaire et, refusant ce que je voulais lui donner, partit à fond de train.

Je m’avançai vers le groupe, me demandant à qui j’allais m’adresser, lorsqu’une voix amie m’interpella : « Comment, vous, ici ! Où allez-vous ? » C’était Villaret, le ténor en vogue de l’Opéra, qui allait, je crois, rejoindre sa jeune femme, dont il n’avait aucune nouvelle depuis cinq mois.