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décidai donc le déménagement de l'ambulance, et fis transporter les plus malades au Val-de-Grâce. Je gardai une vingtaine d’hommes en voie de convalescence. Je louai, pour les installer, un immense appartement vacant, rue Taitbout, 58. Et c’est là que j’attendis l’armistice. J’étais anxieuse, à mourir. Aucune nouvelle des miens depuis un si long temps. Je ne dormais plus. J’étais devenue l’ombre de moi-même.

Jules Favre fut chargé des négociations avec Bismarck. Ah ! ces deux jours de préliminaires furent les plus énervants pour les assiégés. On apportait des fausses nouvelles : des exigences folles, exorbitantes des Allemands, qui ne furent pas tendres aux vaincus. Il y eut un instant de stupeur quand on apprit qu’il fallait payer deux cents millions, là, tout de suite ; et les finances étaient en un si triste état, qu’on frémissait à l’idée de ne pouvoir réunir ces deux cents millions.

Le baron Alphonse de Rothschild, enfermé dans Paris avec sa femme et ses frères, engagea sa signature pour les deux cents millions. Ce beau geste a été vite oublié. Il en est même qui le nient. Ah ! l’ingratitude des foules est humiliante pour l’humanité civilisée ; car l’ingratitude est le mal des peuples blancs, disait un Peau-Rouge, et il avait raison.


Quand nous apprîmes dans Paris que l’armistice était signé pour vingt jours, une épouvantable tristesse s’empara de tous les êtres, même de ceux qui désiraient le plus vivement la paix.

Chaque Parisien sentit sur sa joue la main du vainqueur. C’était le stigmate, le soufflet donné par l’abominable traité de paix. — Ah ! ce trente et un janvier 1871, je me souviens : anémiée par les privations, minée