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rapporterait quelque chose ! Les morts font pas pousser des légumes ! »

Cette boutade était si terriblement logique que, malgré son odieuse brutalité, je me rendis au désir de la mère Tricottin et lui fis le même cadeau qu’à l’enfant. Chacun aurait son lopin de terre : le petit, qui, lui, avait droit à la vie, pour y dormir son éternel sommeil ; la vieille, pour y disputer son reste de vie à la mort qui la guettait.

Je revins à l’ambulance, triste et énervée. Une joie cependant m’y attendait : un ami tenait à la main un tout petit, tout petit papier de soie. Il y avait ces deux lignes écrites de la main de ma mère : « Nous sommes tous très bien portants à Hombourg. »

Je bondis de fureur. A Hombourg ! Toute ma famille était à Hombourg ! Installée tranquillement chez l’ennemi ! Je me creusai la tête pour deviner par quelle extraordinaire combinaison ma mère s’était rendue à Hombourg. Je savais que ma jolie tante Rosine avait une amie chez laquelle elle descendait chaque année ; car elle se rendait tous les ans pendant deux mois à Hombourg, deux mois à Baden-Baden, et un mois à Spa : ma tante étant l’être le plus joueur que le bon Dieu ait créé. Enfin ! ceux-là qui m’étaient si chers étaient bien portants ! C’était le principal. Mais j’en voulais à ma mère de s’être rendue à Hombourg.

Je remerciai mille fois l’ami porteur du petit papier envoyé par le ministre américain qui se dédoublait pour donner aide et consolation aux Parisiens. Puis, je lui remis un mot pour ma mère dans le cas où il serait possible de le faire parvenir.


On continuait à bombarder Paris. Une nuit, les frères de l’école chrétienne vinrent réclamer des bras et des