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et pouponne étaient dépouillées de leur chair, plus d’yeux, plus de nez, plus de bouche, rien, rien, que des cheveux au bout d’une loque sanglante, à un mètre de sa tête. On eût dit que deux pattes de tigre avaient ouvert le ventre et dépiauté avec rage et raffinement le pauvre petit squelette.

Le baron Larrey, le meilleur des hommes, eut une légère pâleur à ce spectacle. Il en voyait bien d’autres, certes ; mais ce pauvre petit était un holocauste bien inutile.

Ah ! l’injustice de la guerre ! l’infamie de la guerre ! Il ne viendra donc pas, le moment rêvé où il n’y aura plus de guerres possibles ! Où un monarque qui voudrait la guerre serait détrôné et emprisonné comme un malfaiteur ? Il ne viendra donc pas le moment où il y aura un cénacle cosmopolite où le sage de chaque pays représentera sa nation et où les droits de l’humanité seront discutés et respectés ?

Tant d’hommes pensent ce que je pense ! Tant de femmes disent comme moi ! Et rien ne se fait. La pusillanimité d’un Oriental, la mauvaise humeur d’un souverain peuvent mettre encore des centaines de milliers d’hommes face à face ! Et il y a des gens si savants : des chimistes, qui passent leur temps à rêver, à chercher, à trouver des poudres écrabouillant tout, des bombes blessant vingt, trente hommes, des fusils répercutant leurs meurtrières besognes jusqu’à ce que la balle tombe morte elle-même après avoir crevé dix à douze poitrines.

J’ai connu un chercheur de ballons que j’aimais beaucoup, car chercher la direction des ballons, c’était pour moi chercher la réalisation du rêve : voler dans les airs, se rapprocher du ciel, aller sans route devant