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Stella Colas était petite, blonde, avec des yeux bleus un peu durs, mais pleins de profondeur. Elle avait la voix grave ; et je tressaillais de toutes mes fibres lorsque cette jeune fille frêle, blonde et pâle attaquait le Songe d’Athalie.

Que de fois, assise sur ma couchette d’enfant, j’essayais de dire d’une voix de basse :

« Tremble ! fille digne de moi… »

J’enfonçais ma tête dans les épaules, je gonflais mes joues, et je commençais :

« Tremble… trem… ble… trem-em-em-ble… »

Mais ça finissait toujours mal, car je commençais tout bas d’une voix étouffée, et puis, inconsciemment, je montais la voix ; et mes compagnes réveillées, égayées par mes essais, éclataient de rire. Et je bondissais à droite, à gauche, furieuse, donnant des coups de pied, des gifles qu’on me rendait au centuple…

Mlle Caroline, fille adoptive de Mme Fressard que je retrouvai, longtemps après, femme du célèbre peintre Yvon, paraissait, furieuse, implacable, nous donnant à toutes des pénitences pour le lendemain. Quant à moi : pas de sortie et cinq coups de règle sur les doigts.

Ah ! les coups de règle de Mlle Caroline ! Je les lui ai reprochés quand je l’ai revue trente-cinq ans après. Elle nous faisait mettre tous les doigts autour du pouce, et il fallait tenir sa main tout près, bien droite : et pan !… et pan !… de sa large règle de bois d’ébène, elle appliquait un méchant coup dur, sec, coup terrible qui faisait gicler les larmes des yeux.

J’avais pris en grippe Mlle Caroline. Elle était belle