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Cette jeune fille, qui était douce, blonde et timide, était prédestinée au malheur ; elle fut trouvée morte dans le cimetière du Père-Lachaise après l’échauffourée des communards traqués par les Versaillais. Une balle perdue l’avait frappée à la nuque pendant qu’elle était en prière sur la tombe de sa petite sœur, morte de la variole deux jours avant.

Je l’avais emmenée à Saint-Germain, où j’étais venue m’installer pendant les horreurs de la Commune. Ce n’est qu’après une grande résistance que je lui permis d’aller à Paris. Pauvre petite !

Ne pouvant pas compter sur cette nourriture de viande conservée, je passai un contrat avec un équarrisseur qui me fournit, à un prix assez élevé, de la viande de cheval ; et ce fut, jusqu’à la fin, la seule viande que nous mangeâmes. Bien préparée, bien assaisonnée, elle était fort bonne.

L’espoir avait fui tous les cœurs. On vivait dans l’attente d’on ne sait quoi. Une atmosphère de malheur plombait le ciel. Et ce fut comme un soulagement quand le bombardement commença, le 27 décembre.

Enfin, il arrivait quelque chose de nouveau ! C’était une ère de souffrances nouvelles. C’était du bruit. On mourait d’inconnu depuis deux semaines.

Le 1er janvier 1871, on avait levé les verres à la santé des absents, au repos des morts ; et le toast s’était étranglé dans les gosiers serrés.

Toutes les nuits, nous entendions sous les fenêtres de l'Odéon le lugubre cri appelant : « Ambulance ! Ambulance ! » Et nous descendions au-devant du triste convoi.

Une, deux, parfois trois voitures se succédaient,