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paternelle. Où étaient-ils ? Chez qui étaient-ils ? J’avais deux tantes à La Haye, mais étaient-elles là ? Je ne pouvais plus diriger ma pensée. Et à partir de ce moment, je ne cessai de souffrir d’une angoisse inquiète et torturante.


Je faisais l’impossible pour avoir du bois. Avant son départ en ballon le 9 octobre, le comte de Kératry m’en avait envoyé une grande provision, mais j’étais sur le point d’en manquer. Aussi, je défendis de toucher à ce qui restait dans les caves, afin de n’être pas prise au dépourvu en cas grave.

Je brûlai tous les petits bancs du théâtre de l’Odéon, toutes les caisses de bois qui servaient à enfermer les accessoires, pas mal de vieux bancs romains, fauteuils et chaises curules enfouis dans les dessous, tout ce qui me tombait sous la main.

Enfin, prenant ma désespérance en pitié, la jolie Mlle Hocquigny me fit envoyer dix mille kilos de bois. Je repris courage.

On parlait beaucoup de viande conservée par un nouveau système, laquelle viande ne perdait ni son sang, ni son pouvoir nutritif. J’envoyai Mme Guérard à la Mairie du quartier de l’Odéon où on délivrait ces denrées ; mais une brute lui répondit que lorsque j’aurais retiré les bondieuseries de mon ambulance, on me donnerait des vivres.

En effet, le maire, M. Hérisson, était venu, avec un fonctionnaire occupant une haute situation, visiter mon ambulance. Le personnage important me pria de retirer les jolies vierges blanches placées sur les cheminées et consoles, et d’enlever le divin crucifié pendu dans chaque pièce où se trouvaient les blessés. Sur mon