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sur les ennemis. Cela se passait dans les vignes de Champigny.

On me l’avait amené évanoui dans une voiture d’ambulance.

Il avait perdu beaucoup de sang, et était à moitié mort de fatigue et de faiblesse. Il était doux et charmant, et se croyait, deux jours après, assez guéri pour retourner se battre ; mais les docteurs s’y opposèrent, et sa sœur, qui était religieuse, le supplia d’attendre qu’il fût à peu près guéri. « Oh ! pas tout à fait, disait-elle doucement, mais juste assez pour avoir la force de te battre. »

On vint, peu de temps après son entrée à l’ambulance, lui remettre la croix de la Légion d’honneur. Et ce fut une seconde d’émotion très poignante. Les malheureux blessés qui ne pouvaient bouger tournaient vers lui leur tête douloureuse et, les yeux brillant sous le voile des larmes, ils lui envoyaient un fraternel regard. Les plus valides tendaient leurs mains vers les mains du jeune colosse.


Le soir même, c’était Noël, j’avais décoré l’ambulance de grandes guirlandes de verdure. J’avais fait de jolies petites chapelles devant mes vierges ; et le jeune curé de Saint-Sulpice vint prendre part à notre pauvre et poétique Noël. Il récita de douces prières, et les blessés, dont beaucoup étaient bretons, entonnèrent des chansons tristes et graves, pleines de charme.

Porel, aujourd’hui directeur du théâtre du Vaudeville, avait été blessé sur le plateau d’Avron. Il était convalescent. Il fut mon hôte, avec deux officiers qui étaient prêts à quitter l’ambulance.

Le souper de Noël est resté dans mon souvenir