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et du jeune Anglais, personne ne dormait, la chaleur étant accablante. On parlait de la guerre.

Un des jeunes gens me dit, après quelques hésitations, que je ressemblais à Mlle Sarah Bernhardt. Je lui répondis que j’avais de bonnes raisons pour cela. Les jeunes gens se présentèrent : Albert Delpit, celui qui m’avait reconnue. Le baron van Zelern ou van Zerlen, je ne sais plus bien, un Hollandais. Et Félix Faure, le jeune homme aux cheveux blancs, qui me dit être du Havre et connaître beaucoup ma grand’mère.

Je restai liée d’amitié avec ces trois hommes. Sauf Albert Delpit, qui devint mon ennemi plus tard. Tous trois sont morts : Albert Delpit en désespéré, ayant touché à tout sans arriver à rien ; le baron hollandais dans un accident de chemin de fer ; et Félix Faure en Président de la République française.

La jeune femme, en entendant mon nom, se présenta à son tour : « Je crois, me dit-elle, que nous sommes un peu parentes : je suis Mme Laroque. — De Bordeaux ? lui dis-je. — Oui. » Et nous pûmes causer de notre famille : la femme du frère de ma mère était une demoiselle Laroque, de Bordeaux.


Le voyage passa assez vite malgré la chaleur, l’entassement et la soif.

L’arrivée à Paris fut plus attristée. Chacun se serra vivement la main. La mari de la grosse dame l’attendait à la gare ; il lui présenta sans mot dire une dépêche. La malheureuse en ayant pris connaissance, poussa un cri et tomba sanglotante dans ses bras.

Quel malheur venait de la frapper ? Je la regardai ; oh ! comme elle n’était plus ridicule, la pauvre femme ! J’eus un serrement de cœur à la pensée que nous