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leur offre le spectacle d’une revue, ne seraient-ils pas plus édifiés sur la valeur d’un peuple qui lui présenterait un millième de son effectif pris au hasard du sort dans la masse de ses soldats, que par l’élégante évolution d’une armée préparée à la parade ?

Ce que j’en ai vu, de ces magnifiques revues, dans tous les pays où je suis allée ! Et, cependant, je savais, de par l’histoire, que telle armée si caracolante, là, devant nous, avait fui sans grande raison devant l’ennemi.


Donc, le 19 juillet, la guerre fut sérieusement déclarée. Paris devenait le théâtre de scènes attendrissantes et burlesques. Nerveuse et délicate de santé comme je l’étais, je ne pouvais supporter la vue de tous ces jeunes êtres pris de joie, hurlant La Marseillaise, et parcourant les rues en rangs pressés, aux cris répétés de : « A Berlin ! à Berlin ! »

Mon cœur battait, car moi aussi, je croyais qu’on allait à Berlin. Mais je trouvais qu’on se préparait à ce grand acte sans respect, sans noblesse. Je comprenais toutes les fureurs, car ces gens nous avaient provoqués sans motifs plausibles.

Mon impuissance me révoltait. Et quand je voyais toutes ces mères, pâles et les yeux gonflés de larmes, tenir leurs gars dans les bras et les embrasser désespérément, une angoisse effroyable me tordait le gosier.


Je me minais, je pleurais sans cesse. Et cependant rien ne faisait prévoir l’horrible catastrophe.

Les médecins décidèrent qu’il me fallait partir de suite pour les Eaux-Bonnes. Je ne voulais pas quitter