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regardais, hébétée... « Oui, voici le fait : Vous savez qu’on parlait de guerre entre la France et l’Allemagne, à propos du Maroc ?... — Oui... — Eh bien, ce prince de l’acier espérait vendre des canons, et activait depuis un mois ses usines, qui travaillent double en ce moment, jour et nuit ; il a donné d’immenses pots-de-vin aux membres influents du gouvernement, et il a acheté des journaux en France et en Allemagne pour exciter les deux peuples. Tout a raté ! grâce à l’intervention d’hommes sages et humanitaires. Et le milliardaire est au désespoir. Il a perdu soixante... peut-être cent millions. »

Je regardais avec mépris ce misérable. Et je souhaitai ardemment le voir étouffer par ses milliards, puisque le remords lui était sans doute inconnu.

Et combien d’autres sont aussi méprisables que cet homme ! — Presque tous ceux qui s’intitulent fournisseurs des armées dans tous les pays du monde sont les plus acharnés propagateurs de la guerre.

Que tout le monde soit soldat, au moment du péril, oui, mille fois oui ! Que chacun s’arme pour la défense de la patrie, et qu’on tue pour défendre les siens et soi-même, cela tombe sous le sens ; mais qu’il y ait encore, à notre époque, de jeunes hommes dont le rêve unique est de tuer d’autres hommes pour arriver à se faire une situation, cela passe l’imagination !

Il est indiscutable qu’il faut garder nos frontières et nos colonies ; mais, puisque tout le monde est soldat, pourquoi ne prend-on pas les gardiens défenseurs dans ce « tout le monde » ? Il n’y aurait que des écoles d’officiers, et plus de ces horribles casernes qui offensent la vue.

Et quand les souverains se rendent visite, et qu’on