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en ordre ; et plusieurs fois déjà, j’avais retiré ce flambeau. Mais ce jour était marqué dans ma vie ; un malheur, oh ! pas très grand, devait m’atteindre.

« Mais, me dit le notaire après mon récit, vous n’étiez donc pas assurée ? — Non, je devais signer ma police le lendemain de l’événement. — Ah ! s’exclama l’homme de loi, dire que j’ai entendu affirmer que vous aviez mis le feu vous-même pour toucher une grosse prime. » Je haussai les épaules, j’avais lu cela à mots couverts dans un journal. Quoique très jeune alors, j’avais déjà un certain mépris des racontars.

« Eh bien, puisque les choses sont telles, me dit Me C…, je vais arranger vos affaires : vous êtes plus riche que vous ne croyez du côté de votre père ; et votre grand’mère vous laissant une rente viagère, vous pouvez racheter cette rente un assez joli prix, en consentant à vous faire assurer sur votre vie pour deux cent cinquante mille francs pendant quarante ans, au profit de l’acheteur. »

J’acceptai tout, trop heureuse de cette aubaine. Et cet homme me dit qu’il m’enverrait, deux jours après son retour, cent vingt mille francs, ce qu’il fit. Si j’ai conté ce petit fait qui, du reste, fait partie de ma vie, c’est pour démontrer à quel point tout arrive autrement que la logique ne le conçoit, ou que le cerveau ne le prévoit.

Il est certain que l’accident qui venait de m’arriver désagrégeait les espoirs de ma vie.

Je m’étais fait un intérieur luxueux avec les sommes laissées par mon père et ma mère. J’avais gardé et placé une somme nécessaire à parfaire chaque mois mes appointements pendant deux ans, lesquels deux ans je m’étais donnés comme limite pour exiger de très gros