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chanté à un « bénéfice ». Ce fut Arthur Meyer qui m’apporta la nouvelle que la Patti chanterait pour moi. Son mari vint l’après-midi m’exprimer toute la joie qu’elle mettait à me donner cette marque de sympathie.

L’Oiseau-fée ne fut pas plutôt annoncée que toute la salle se trouva louée au delà des prix fixés. Elle ne dut pas regretter son amical et fraternel mouvement, car jamais triomphe ne fut plus complet. Les étudiants la saluèrent de trois bans à son entrée en scène. Elle resta un peu surprise par ce bruit de bravos rythmés. Et je la vois encore s’avancer sur ses deux petits pieds chaussés de satin rose. On eût dit un oiseau hésitant entre le vol et l’atterrissement.

Elle était si jolie, si souriante. Et quand elle égrena les mille joyaux de sa voix merveilleuse, ce fut du délire : la salle était debout. Les étudiants, montés sur leurs fauteuils, agitaient leurs mouchoirs, leurs chapeaux, secouaient leurs jeunes têtes enfiévrées d’art et criaient « bis ! » avec des intonations de prière, émouvantes. Et la divine cantatrice recommençait. Elle dut chanter trois fois la cavatine du Barbier de Séville : « Una voce poco fa ! »

Je la remerciai tendrement. Elle partit suivie des étudiants, qui escortèrent longtemps sa voiture aux cris mille fois répétés de : « Vive Adelina Patti ! »

Grâce à cette soirée, je pus payer la Compagnie d’assurances.


J’étais néanmoins ruinée, ou à peu près.

Et je me désespérais, car je sentais que je ne pourrais vivre sans confort et sans luxe.

J’allai m’installer quelques jours chez ma mère, mais