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le courage de m’y opposer. Mais, ce jour-là, je la trouvai tellement méchante avec maman, que je la pris tout à fait en mauvaise part et résolus de ne plus la garder.

On m’apportait du dehors des nouvelles de l’incendie, qui continuait à faire rage. Tout était brûlé, absolument tout, jusqu’au dernier volume de ma bibliothèque : mais ce qui me désespérait, c’est que je perdais un magnifique portrait de maman, de Bassompierre Séverin, un pastelliste très à la mode sous l’Empire, un portrait à l’huile de mon père, et un très joli pastel de ma sœur Jeanne.

Je n’avais pas beaucoup de bijoux ; mais on ne retrouva, du bracelet que m’avait donné l’Empereur, qu’un gros et informe lingot, que j’ai encore. J’avais un joli diadème en diamants et perles fines que m’avait offert Kalil bey après une représentation chez lui ; on dut passer les cendres au crible pour retrouver les diamants, les perles avaient fondu.

Je me trouvais ruinée du jour au lendemain, car avec ce que m’avaient laissé mon père et ma grand’mère paternelle, j’avais acheté des meubles, des bibelots et mille jolies choses inutiles qui faisaient la joie de ma vie, car j’avais — et je reconnais que c’était folie — une tortue nommée Chrysargère, dont le dos était recouvert d’une carapace d’or semée de toutes petites topazes bleues, roses et jaunes. Oh ! qu’elle était jolie, ma tortue ! Et qu’elle était amusante à voir dans l’appartement, toujours suivie d’une plus petite tortue nommée Zerbinette qui était sa servante. Oh ! que je m’amusais des heures à regarder Chrysargère s’éclairer de mille feux sous les rayons de la lune ou du soleil. Toutes deux moururent dans la catastrophe.