Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/209

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il fut convenu avec Duquesnel et l’envoyé de la Cour que nous irions d’abord aux Tuileries, Agar et moi, pour voir l’emplacement où nous devions jouer, afin de le faire aménager selon les besoins de notre pièce.

M. le comte de Laferrière devait me présenter à l’empereur, lequel devait me présenter à l’impératrice Eugénie. Agar devait être présentée par la princesse Mathilde, pour laquelle elle posait une tête de Minerve.

M. de Laferrière vint me chercher à neuf heures du matin, dans une voiture de la Cour, où je pris place avec Guérard. M. de Laferrière était un très aimable homme aux manières un peu compassées.

Comme nous tournions la rue Royale, dans un moment d’arrêt, le général Fleury s’approcha de nous. Je le connaissais, car il m’avait été présenté par Morny. Il s’informa ; et, sur le récit que lui fît le comte de Laferrière, il nous quitta, me criant : « Bonne chance ! » À ce moment même, un homme qui passait répondit : « Bonne chance, peut-être, mais pas pour longtemps, tas de propres à rien ! »


Arrivés au château des Tuileries, nous descendîmes tous les trois. On m’introduisit dans un petit salon jaune du rez-de-chaussée.

« Je vais prévenir Sa Majesté », dit M. de Laferrière en nous quittant. Seule avec Guérard, je voulus répéter mes trois révérences : « Mon petit’dame, dis-moi si c’est bien ? » Et je saluai en murmurant : « Sire... Sire... » Je recommençai plusieurs fois : « Sire... », plongeant dans ma robe, les yeux baissés, quand j’entendis un léger rire étouffé.

Je me redressai, furieuse contre Guérard, mais je la vis comme moi courbée en demi-cercle. Je me retournai