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Agar révint vers moi, les joues un peu rosées, ce qui était rare chez elle, car elle avait un teint marmoréen. « Tiens, voilà le manuscrit ! » fit-elle en me remettant un petit rouleau.

La répétition venait de finir. Je pris congé d’Agar et lus la pièce en voiture. Elle me transporta à tel point, que je revins sur mes pas pour la faire lire de suite à Duquesnel.

Je le rencontrai dans l’escalier. « Je t’en prie, remonte ! — Oh ! mon Dieu !... me dit-il. Qu’est-ce qu’il y a, ma chère amie ? Tu sembles avoir gagné le gros lot ? — Eh bien, c’est à peu près cela. Viens ! » Et une fois dans son cabinet : « Lis cela, je t’en prie ! — Donne, je vais l’emporter. — Non, lis-le, là, tout de suite ! Veux-tu que je te le lise ? — Non ! non ! répliqua-t-il, ta voix est une trompeuse qui fait des plus mauvais vers une ravissante poésie. Donne ! »

Et le jeune directeur s’installa dans son fauteuil et se mit à lire. Pendant ce temps, je feuilletais des journaux.

« C’est délicieux ! s’écria-t-il. Enfin, c’est un pur chef-d’œuvre ! » Je bondis de joie. « Tu le feras accepter par Chilly ? — Oui, oui, sois tranquille. Mais quand veux-tu jouer cela ? — Ah ! écoute : l’auteur me semble très pressé, et Agar aussi. — Et toi aussi ! me dit-il en riant, car voilà un rôle selon tes rêves. — Oui, mon petit Duq... moi aussi !... Veux-tu être gentil ? Fais-moi jouer cela au « bénéfice » de Mme ***, dans quinze jours. Cela ne dérangera aucun spectacle, et notre poète sera si heureux !

— Bien ; bien, reprit Duquesnel, je vais arranger cela... Mais comment faire pour les décors ? » murmura-t-il en se rongeant les ongles (son repas favori quand il est préoccupé).