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timide que moi)... Oui, j’ai fait une petite pièce, et Mlle Agar est persuadée que vous voudrez bien la jouer avec elle. — Oui, ma chérie, reprit Agar : tu vas la lui jouer. C’est un petit chef-d’œuvre ! Et je suis sûre que tu auras un succès colossal ! — Oh ! et vous ! Vous serez si belle ! » dit le poète en inondant Agar d’un regard lumineux.

On m’appela en scène. Je revins quelques instants après. Le jeune poète causait bas avec la belle tragédienne. Je toussotai un peu. Agar avait pris possession de mon fauteuil ; elle voulait me le rendre et, sur mon refus, me fit asseoir sur ses genoux. Le jeune homme rapprocha sa chaise et nous papotâmes ainsi, nos trois têtes se touchant.

Il fut convenu que je porterai, après l’avoir lue d’abord, la pièce à Duquesnel, seul capable de juger des vers, et que nous obtiendrions ensuite, des deux directeurs, l’autorisation de la jouer à un « bénéfice » qui devait avoir lieu après notre première.

Le jeune homme, ravi, eut un pâle et reconnaissant sourire et me serra la main avec nervosité.

Agar le conduisit jusque sur le petit palier surplombant la scène. Je la regardais, cette magnifique statue, à côté de la mince silhouette du jeune écrivain.

Agar pouvait avoir trente-cinq ans. Elle était vraiment belle, mais je ne lui trouvais aucun charme ; et je ne comprenais pas pourquoi ce poétique Bonaparte était amoureux de cette jeune matrone, cela était aussi visible que le jour ; et elle semblait éprise aussi. Cela m’intéressait infiniment. Je les vis se serrer longuement la main ; puis, lui, par un mouvement brusque et presque gauche, se courba sur cette belle main et la baisa longuement.