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Hugo ! se firent à nouveau entendre dans un vacarme infernal.

Nous étions depuis une heure prêts à commencer le spectacle. J’étais très excitée.

Enfin Chilly et Duquesnel vinrent sur la scène : « Mes enfants, ayez du courage ! La salle est déchaînée ; ça ira comme ça ira... mais commençons ! »

« Ah ! dis-je à Duquesnel, tu sais, j’ai peur de m’évanouir. » En effet, mes mains étaient glacées, mon cœur battait. « Dis-moi... qu’est-ce qu’il faut faire, si j’ai trop peur ? — Il n’y a rien à faire ! dit Duquesnel. Aie peur ! Joue ! Et ne t’évanouis à aucun prix ! »

On leva le rideau au milieu de la tempête, des cris d’oiseaux, des miaulements de chats, et de la reprise sourde et rythmée des : Ruy Blas ! Ruy Blas ! Victor Hugo ! Victor Hugo ! ! !...


Mon tour arriva. Berton père, qui jouait Kean, avait été mal reçu. J’entrai, vêtue du costume excentrique « en Anglaise de 1820 ». J’entendis un éclat de rire qui me cloua sur le seuil de la porte où je venais de paraître. Au même instant, les applaudissements de mes chers petits amis les étudiants couvraient le rire des méchants. Je pris courage et me sentis même le désir de batailler. Mais je n’en eus pas besoin, car, après la seconde et interminable tirade dans laquelle je laisse entrevoir mon amour pour Kean, le public ravi me fit une ovation.

Voici que ce dit « Ignotus » dans le Figaro :

Mlle Sarah Bernhardt paraît avec un costume excentrique qui augmente encore la tempête, mais sa voix chaude, cette voix étonnante, émeut le public. Elle l’avait dompté, comme une petite Orphée.