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me glissai tout contre George Sand. Il se prit à rire, et s’écria : « Mais elle est amoureuse de vous, cette petite ! » George Sand me caressa doucement la joue : « C’est ma petite Madone, dit-elle, ne la tourmentez pas. » Et je restai près d’elle, jetant un œil furtif et mécontent au prince.

Mais peu à peu, je pris plaisir à l’entendre ; car la conversation de cet homme était brillante, sérieuse et spirituelle ; il émaillait bien ses discours et répliques de mots un peu crus, mais tout ce qu’il disait était intéressant et instructif. Il était méchant, et je lui ai entendu dire sur le petit Thiers des choses perfides, horribles, que je crois tant soit peu vraies. Et il a fait un jour, de cet aimable Louis Bouilhet, un portrait si amusant, que George Sand, qui l’aimait, n’a pas pu s’empêcher de rire en le traitant de méchant homme.

Le prince était assez sans façon, mais cependant, il n’aimait pas qu’on lui manquât de respect. Un jour, un artiste nommé Paul Deshayes, qui jouait dans François Le Champi, entra dans le foyer des artistes, où se trouvaient : le prince Napoléon, Mme George Sand, le conservateur de la bibliothèque — dont j’ai oublié le nom — et moi. Cet artiste était commun et un peu anarchiste. Il salua Mme Sand, et s’adressant au prince, il dit : « Vous êtes assis sur mes gants. Monsieur. » Le prince se souleva à peine, envoya la paire de gants à terre, disant : « Tiens, je croyais la banquette propre. » L’acteur rougit, ramassa ses gants, et sortit en murmurant quelque menace communarde.

Je jouai Le Testament de César Girodot, le rôle d’Hortense. Kean, d’Alexandre Dumas, le rôle d’Anna