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Et il avait dit vrai. J’avais une jolie voix, c’était tout ce qu’on pouvait constater dans cette épreuve. Je restai donc à l’Odéon, travaillant ferme, toujours prête à remplacer quelqu’un, sachant tous les rôles. J’obtins quelques succès ; et les étudiants m’avaient déjà prise en prédilection. Mon entrée en scène était toujours saluée par les bravos de la jeunesse. Quelques vieux ronchonneurs tournaient la tête vers le parterre pour imposer silence, mais on s’en moquait comme de l’an quarante.

Enfin, mon jour de succès se leva.

Duquesnel avait eu l’idée de remonter Athalie avec les chœurs de Mendelssohn.

Beauvallet, l’odieux professeur, était un camarade charmant. C’est lui qui, par permission spéciale du Ministère, devait jouer Joad. On m’avait, à moi, distribué Zacharie. Quelques élèves du Conservatoire devaient dire les chœurs parlés, pendant que les élèves chanteuses faisaient la partie musicale. Mais cela marchait si mal que Duquesnel et Chilly se désespéraient.

Beauvallet, plus aimable que jadis, mais toujours mal embouché, poussait des Nom de D... terribles... On reprenait. On recommençait. Rien n’y faisait. Ces malheureux chœurs parlés étaient abominables. Quand tout à coup Chilly s’écria : « Eh bien, que la petite dise tous les chœurs parlés, ça ira tout seul, avec sa jolie voix ! »

Duquesnel ne dit mot. Mais il tira sa moustache pour dissimuler son rire : il y venait, le co-associé. Il y venait, à sa petite protégée !

Il hocha la tête d’un air indifférent pour répondre au regard questionneur de Chilly, et on recommença, moi lisant les chœurs parlés.