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était en soie noire dentelée, un chapeau de grosse paille de forme conique, couvert d’épis, retenu sous le menton par un velours noir. Cela devait être délicieusement fou.

Ainsi vêtue, joyeuse et pleine de confiance, je me rendis chez Félix Duquesnel. J’attendis quelques instants dans un petit salon très artistiquement meublé.

Un jeune homme parut, élégant, souriant, charmant. Je ne pouvais me faire à l’idée que ce jeune homme blond et rieur serait mon directeur.

Après une courte conversation, nous tombâmes d’accord sur tous les points. « Venez à deux heures à l’Odéon, me dit Duquesnel en forme d’adieu, je vous présenterai à mon associé... C’est le contraire que je devrais dire selon la formule mondaine, ajouta-t-il en riant ; mais nous jargonnons théâtre. »

Il descendit quelques marches en m’accompagnant et resta penché sur la rampe en me disant : « Au revoir. » A deux heures précises, j’étais à l’Odéon. J’attendis plus d’une heure. Je commençais à grincer des dents et, seul, le souvenir de ma promesse faite à Camille Doucet m’empêcha de m’en aller.

Enfin Duquesnel parut : « Vous allez voir l’autre Ogre. » Et il m’entraîna vers le cabinet directorial.

Chemin faisant, je me représentai cet ogre aussi charmant que son associé. Aussi, fus-je très désappointée en voyant le très vilain petit homme que je reconnus dans Chilly.

Il me toisa sans politesse, feignit de ne pas me reconnaître et, me faisant signe de m’asseoir, il me passa sans mot dire une plume, me montrant l’endroit où je devais signer.

Mme Guérard arrêta ma main : « Ne signez pas