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un élan de désespoir, je m’élançai vers ma tante qui allait monter en voiture ; et puis rien… la nuit… la nuit… un tapage lointain de voix lointaines… lointaines…

J’avais échappé à ma pauvre nounou. Je m’étais écrasée sur le pavé aux pieds de ma tante. Je m’étais brisé le bras en deux endroits et cassé la rotule gauche.

Je ne m’éveillai que quelques heures après, dans un grand lit qui était beau, qui sentait bon, qui tenait le milieu d’une grande chambre, avec deux belles fenêtres pleines de joie, car « on voyait le plafond de la rue ». Ma mère, appelée en toute hâte, vint me soigner.

Je connus ma famille, mes tantes, mes cousines.

Mon petit cerveau ne comprenait pas pourquoi tant de gens m’aimaient à la fois, alors que j’avais passé tant de jours et de nuits aimée par un seul être.

Assez débile de santé, les os menus et friables, je restai deux ans à me remettre de cette terrible chute. On me portait presque toujours dans les bras.

Je passe ces deux années de ma vie qui ne m’ont laissé qu’un souvenir confus de câlineries et de torpeurs.