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triste, et tout mon être était empreint de distinction. Cette légère vision de nos deux personnes me consola de mon échec. Et puis, je sentais ce Faille un être si nul, et de Chilly un être si commun !

Je devais les retrouver tous les deux dans ma vie. Chilly, peu de temps après, comme directeur de l’Odéon ; Faille, vingt ans après, dans une situation si triste, que les larmes mouillèrent mes yeux quand il vint, l’air suppliant, me demander de jouer à son bénéfice : « Oh ! je vous en prie, dit le pauvre homme. Venez, vous êtes tout l’attrait de cette représentation. Je ne compte que sur vous pour faire ma recette. » Je lui serrai les mains.

Je ne sais s’il se souvenait de notre première entrevue et de mon audition ; mais moi, qui m’en souvenais bien, je n’avais qu’un désir : c’est qu’il ne s’en souvînt pas.


Cinq jours après, Mlle Debay, rétablie, reprenait son rôle.

Avant de m’engager tout à fait avec la Porte-Saint-Martin, j’écrivis à Camille Doucet. Le lendemain, je recevais un mot me donnant rendez-vous au ministère.

Ce n’était pas sans émotion que j’allais revoir cet aimable homme.

Il m’attendait debout quand l’huissier m’introduisit. Les deux mains tendues vers moi, il m’attira doucement : « Oh ! la terrible enfant, me dit-il ; et, me faisant asseoir : Voyons, voyons, il faut devenir plus calme ; il ne faut pas perdre tous ces dons admirables en voyages, en fugues, en gifles... »

J’étais émue par la bonté de cet homme. Mes yeux