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On m’habilla dans les vêtements de Mlle Debay. Et le rideau se leva.

Ah ! pauvre de moi ! J’étais plus morte que vive. Mais je repris mon courage après une triple salve d’applaudissements pour le couplet du réveil que je débitai comme j’aurais murmuré une série de vers de Racine.

La représentation finie, Marc Fournier me fit offrir, par Josse, un engagement de trois années ; mais je demandai à réfléchir.

Josse m’avait présenté à un auteur dramatique, charmant homme, et d’un talent aimable : Lambert Thiboust. Ce dernier me trouva tout à fait l’idéal de son héroïne, la Bergère d’Ivry ; mais M. Faille, ancien acteur et nouveau directeur de l’Ambigu, était tant soit peu commandité par un nommé de Chilly, qui avait fait sa réputation dans le rôle de Rodin du Juif-errant et qui, ayant épousé une femme assez riche, s’était retiré du théâtre et faisait de la direction. Il venait, je crois, de céder l’Ambigu à Faille. De Chilly protégeait une charmante fille nommée Laurence Gérard. Elle était douce et bourgeoise, assez jolie, sans beauté réelle et sans grâce.

Faille répondit à Lambert Thiboust qu’il était en pourparlers avec Laurence Gérard, mais que, cependant, il s’inclinait devant le désir de l’auteur. « Seulement, dit-il, je réclame une audition de votre protégée. »

Je me prêtai au désir du pauvre diable, qui devait être aussi nul comme directeur qu’il l’avait été comme artiste. Je passai donc une audition sur la scène de l’Ambigu, éclairée par la triste « servante » (petite lampe transportable), ayant sous les yeux, à un mètre de moi, M. Faille se balançant sur sa chaise, une main sur son