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MA DOUBLE VIE

Grâce au vieux Josse, je connaissais un peu tout le monde.

Mais quelles ne furent pas ma surprise et ma terreur quand, venant à cinq heures au théâtre pour prendre mes places, Josse s’écria en me voyant : « Mais la voilà, notre princesse, notre petite Biche au bois, la voilà ! C’est le dieu du Théâtre qui nous l’envoie ! » Je me débattis comme une anguille dans un filet, ce fut peine perdue.

M. Marc Fournier, très charmeur, me fit comprendre que je lui rendais un véritable service, que je sauvais la recette ; Josse, qui devinait mes scrupules, me dit : « Mais, ma chère petite, vous restez dans votre grand art, car c’est Mlle Debay, du théâtre de l’Odéon, qui joue ce rôle de princesse ; et Mlle Debay est la première artiste de l’Odéon ; et l’Odéon est un théâtre impérial ; donc cela ne déshonore pas vos études. »

Mariquita, qui venait d’arriver, me pressa aussi. On fit chercher Mme Ugalde pour répéter avec moi les duos, car j’allais chanter. Oui, j’allais chanter avec une véritable chanteuse, la première artiste de l’Opéra-Comique.

Le temps passait. Josse me faisait répéter mon rôle, que je savais presque en entier, ayant vu souvent la pièce et possédant une mémoire extraordinaire.

Les minutes passaient, formant des quarts d’heure, lesquels formaient des demi-heures qui devenaient des heures pleines. Mes yeux ne quittaient pas l’horloge, la grande horloge du cabinet directorial, dans lequel je me trouvais.

Mme Ugalde me fit répéter. Elle me trouva une jolie voix ; mais je détonnais sans cesse. Elle me soutenait et m’encourageait.