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Elle me prit dans ses bras, essaya de me calmer et, interrogeant le concierge, elle balbutiait à son amie : « Je n’y comprends rien ! C’est la petite Sarah, la fille de Youle, ma sœur ? »

Mes cris avaient attiré du monde. Des fenêtres s’étaient ouvertes.

Ma tante prit le parti de se réfugier dans la loge pour avoir une explication. Ma pauvre nourrice lui raconta tout ce qui s’était passé : la mort de son mari, son nouveau mariage. Ce qu’elle dit pour s’excuser, je ne m’en souviens plus.

Je m’étais accrochée à ma tante qui sentait si bon… si bon, et je ne voulais plus la quitter. Elle me promit de venir me chercher le lendemain ; mais je ne voulais plus rester dans le noir : je voulais partir tout de suite, tout de suite, avec ma nourrice. Ma tante me caressait doucement les cheveux, et parlait avec son amie une langue que je ne comprenais pas. Elle essaya en vain de me faire comprendre je ne sais quoi… Je voulais partir avec elle, tout de suite.

Légère, et tendre, et câline, sans amour, elle me dit des mots jolis ; m’effleura de ses doigts gantés ; tapotait sa robe retroussée ; faisait mille gestes frivoles, charmants et froids. Elle partit, entraînée par son amie ; vida son petit porte-monnaie entre les mains de ma nourrice. Je m’élançai sur la porte fermée par le mari de ma nourrice qui la reconduisait.

Ma pauvre nourrice pleurait ; et me prenant dans ses bras, elle ouvrit la fenêtre, me disant : « Pleure plus, Fleur-de-Lait. Regarde ta jolie tante. Elle reviendra. Tu partiras avec elle. » Et de grosses larmes coulaient sur son beau visage rond et calme. Mais je ne voyais que le trou noir qui restait immuable derrière moi. Et dans