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Le cœur me battait fort quand j’arrivai à Paris devant la maison maternelle. « Mon petit’dame », prévenue, m’attendait chez le concierge. Elle s’extasia sur ma bonne mine, m’embrassa en pleurant de joie. Le ménage portier ne tarissait pas d’éloges.

Guérard monta avant moi pour prévenir maman ; et j’attendis un instant dans la cuisine, serrée dans les bras convulsés de Marguerite, notre vieille bonne.

Mes sœurs accoururent toutes deux. Jeanne m’embrassait, me retournait, me flairait. Régina, collée contre le fourneau, les mains derrière le dos, me regardait rageusement. « Eh bien, tu ne veux pas m’embrasser, Régine ?... lui dis-je en me courbant vers elle.

— Non ! T’aime plus. T’as parti sans moi. T’aime plus ! » Et elle se retourna violemment pour échapper à mon baiser, buttant sa tête contre le fourneau.

Enfin, Guérard apparut. Je la suivis, oh ! combien émue et repentante !

J’ouvris doucement la porte de la chambre tendue de reps bleu pâle. Maman était toute blanche dans son lit, sa figure amaigrie, mais merveilleusement belle. Elle ouvrit ses deux bras comme deux ailes, et je me précipitai dans ce nid tout blanc et tout plein d’amour. Maman pleurait, silencieuse comme toujours. Puis ses mains s’amusèrent à défaire mes cheveux, qu’elle peigna avec ses longs doigts fuselés.

Et puis, ce furent mille questions de ma part, de la sienne. Je voulais savoir. Elle aussi voulait savoir. Et c’était un duel amusant de mots, de phrases et de baisers.

J’appris que maman avait eu une pleurésie assez grave, qu’elle était en voie de guérison, mais pas encore guérie.