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MA DOUBLE VIE

sommeil, elle allait me préparer des lettres de recommandation pour Madrid.

Je dormis dix heures durant. Quand je m’éveillai, reposée de corps et d’esprit, je voulus envoyer une dépêche à maman ; mais la chose était impossible, il n’y avait pas de télégraphe à Alicante.

J’écrivis donc une lettre à ma pauvre chère maman, pour lui dire que j’étais descendue chez des amis de mon père, etc., etc.

Le lendemain, je partis pour Madrid où j’arrivai, recommandée au propriétaire de l’hôtel de la Puerta del Sol.

Je fus installée avec ma femme de chambre dans un joli appartement, et j’envoyai des messagers porter les lettres de Mme Rudcowitz.

Je passai quinze jours à Madrid, gâtée, choyée, fêtée ; j’assistai à toutes les courses de taureaux, qui me passionnaient follement. J’eus l’honneur d’être invitée à une grande corrida donnée en l’honneur de Victor-Emmanuel qui était en ce moment-là l’hôte de la reine d’Espagne.

J’oubliais Paris, mes chagrins, mes déceptions, mes ambitions, j’oubliais tout. Je voulais vivre en Espagne. Mais un télégramme envoyé par Guérard me fit vite renoncer à mes projets. Maman était malade, « très malade », disait la dépêche.

Je bouclai ma malle et demandai à partir de suite ; mais, ma note d’hôtel payée, il ne me restait plus un sol pour prendre le chemin de fer. L’hôtelier prit mes deux billets, me prépara un panier plein de victuailles et me remit deux cents francs à la gare, me disant qu’il avait des ordres des Rudcowitz de ne me laisser manquer de rien. Ce ménage était vraiment délicieux.