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Sardou m’a raconté, depuis, qu’il se trouvait dans le cabinet de Montigny quand il reçut ma lettre.

« Je causais, me dit Sardou, avec Montigny depuis une heure à propos d’une pièce que j’allais faire. La conversation était animée, quand la porte s’ouvrit. Montigny furieux s’écria : « J’avais défendu qu’on me dérangeât ! » Mais la tête inquiète et le regard pressant du vieux Monval adoucirent sa rudesse. « Oh ! qu’est-ce encore ? » fit-il en étendant la main pour prendre la lettre tendue par le vieux régisseur ; puis, reconnaissant mon papier avec la bordure grise : « Ah ! c’est de cette enragée gamine. Elle est malade ? — Non, dit Monval. Elle est partie pour l’Espagne. — Que le diable l’emporte ! s’écria Montigny. Faites chercher Mme Dieudonné qui la remplacera. Elle a de la mémoire ; et on coupera la moitié du rôle, voilà tout. — Vous avez un ennui pour ce soir ? dis-je à Montigny. — Ah ! rien : La petite Sarah Bernhardt qui fiche le camp en Espagne ! Celle du Théâtre-Français qui a donné une gifle à Nathalie ? — Oui. — Elle est drôle, cette petite. — Oui, mais pas pour les directeurs. » Et Montigny reprit la conversation interrompue.

(Récit exact de Victorien Sardou.)


Arrivées toutes deux à Marseille, ma femme de chambre s’en fut aux renseignements : ils aboutirent à nous faire monter sur un abominable bateau marchand, un caboteur, sale, puant l’huile et le vieux poisson, une horreur.

Je n’avais jamais fait de voyage en mer. Et je m’imaginais que tous les bateaux étaient ainsi et que je ne devais pas me plaindre.

Après six jours de mer démontée, on nous débarqua