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Une idée subite venait de germer dans mon cerveau ; et sans l’approfondir, je voulus de suite la mettre à exécution.

Elle jura et je lui déclarai que j’allais de suite partir pour l’Espagne, que j’avais si envie de voir depuis longtemps.

Elle bondit ! « Comment ? Partir pour l’Espagne ? Avec qui ? Quand ? — Avec mes économies ! Ce matin même ! Tout le monde dort à la maison, je vais faire ma malle, et je pars tout de suite, avec vous ! — Mais non, mais non… je ne peux pas partir ! s’écria Mme Guérard affolée. Et mon mari ? Et mes enfants ? » Sa fille avait à peine deux ans.

« Alors, « mon petit’dame », donnez-moi quelqu’un pour partir avec moi. — Mais je n’ai personne… Mon Dieu ! mon Dieu ! disait-elle en pleurant, renoncez à votre idée, ma petite Sarah, je vous en supplie ! »

Mais mon idée était fixe, ma volonté tenace. Je descendis faire ma malle et remontai chez Guérard. Puis j’ouvris sa fenêtre et lançai une fourchette en étain enveloppée dans du papier contre un des carreaux d’une lucarne en face. La fenêtre s’ouvrit brusquement, et le visage endormi et furieux d’une jeune femme se montra à la fenêtre. Alors, mettant mes mains en cornet autour de ma bouche : « Caroline, voulez-vous partir de suite avec moi en Espagne ? » La tête ahurie de la jeune femme fit voir qu’elle me comprenait mal ; mais elle referma vivement sa fenêtre, disant : « Je viens. Mademoiselle ! »

Dix minutes après, Caroline grattait à la porte de Guérard qui était effondrée dans un fauteuil. M. Guérard avait déjà demandé deux fois à travers la porte de la chambre ce qui se passait. « C’est la petite Sarah