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jeunes filles. Puis, M. Monval, un vieil homme cynique, régisseur général et presque administrateur, nous passa en revue.

Il m’avait plu au premier abord parce qu’il ressemblait à M. Guérard, mais il me déplut vite. Sa façon de me regarder, de me parler, de me toiser même, me mit de suite en bataille. Je répondis sèchement à ses demandes, et notre conversation, qui semblait vouloir prendre un ton agressif, fut coupée par l’arrivée de M. Montigny, directeur.

« Laquelle de vous est Mlle Sarah Bernhardt ? » Je me levai. « Voulez-vous entrer dans mon cabinet, Mademoiselle ? »

Montigny était un ancien acteur, à l’aspect rond et bonhomme. Il semblait assez infatué de sa personnalité, de son moi ; mais cela m’était égal.

Après une petite causerie amicale dans laquelle il me fit un peu de morale à propos de ma fugue de la Comédie, et beaucoup de promesses sur les rôles qu’il allait me faire jouer, il prépara mon engagement et me pria de le lui rapporter signé par mon conseil de famille et ma mère. « Je suis émancipée, lui répondis-je, et ma signature est valable. — Ah ! bon, s’écria-t-il. En voilà une folie d’émanciper une mauvaise tête comme ça, ce n’est vraiment pas un service que vos parents vous ont rendu ! »

J’allais lui répondre que ce que faisaient mes parents ne le regardait pas ; mais je me contins, signai, et m’en fus joyeuse à la maison.

Pour commencer, Montigny tint parole. Il me fit doubler Victoria Lafontaine, jeune artiste alors très à la mode et d’un talent délicieux.

Je jouai La Maison sans enfants ; et je la remplaçai