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Je ne dis rien à personne. Je répétai. Cette scène se passait un mardi. Et le vendredi suivant, venant à la répétition, j’eus le chagrin d’apprendre que Davenne n’était pas venu, et que la répétition était levée.

Au moment où j’allais monter en voiture, le concierge courut après moi pour me remettre une lettre de M. Davenne. Le pauvre homme n’avait pas osé me porter le coup qu’il prévoyait devoir m’être si douloureux. Il m’expliquait dans sa lettre que, vu ma grande jeunesse, la lourdeur du rôle… une telle responsabilité sur de si frêles épaules… et qu’enfin, Mme Favart étant remise de sa maladie, il était plus sage que…

Je ne continuai la lettre qu’à travers mes larmes ; mais la colère prit vite la place du chagrin.

Je remontai quatre à quatre et je me fis annoncer chez l’Administrateur. Il ne pouvait me recevoir en ce moment. « C’est bien, j’attendrai. » Au bout d’une heure, impatientée, j’envoyai promener le garçon et le secrétaire qui voulaient me retenir, et je pénétrai chez M. Thierry.

Tout ce que la désespérance, la colère contre l’injustice, la rage contre la fausseté, peuvent inspirer, je le débitai, en un flot de paroles hachées par les sanglots. L’Administrateur me regardait ahuri. Il ne pouvait concevoir une telle audace, ni une pareille violence chez une si jeune fille.

Quand, épuisée, je me laissai tomber dans un fauteuil, il essaya de me calmer, mais c’était inutile. « Je veux partir tout de suite, Monsieur ! Rendez-moi mon engagement. Je vais vous renvoyer le mien. »

Enfin, lassé de supplier, il fit appeler un secrétaire lui donna des ordres, et ce dernier revint avec mon engagement.