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asseoir, ce qu’il n’avait pas encore fait. Et, s’asseyant lui-même en face de moi, il me parla doucement des avantages de la Comédie, du danger qu’il y avait pour moi à quitter cette illustre Maison dans laquelle on m’avait fait l’honneur de m’admettre, et cent autres raisons très bonnes, très sages, qui m’amollissaient.

Mais quand, me voyant attendrie, il voulut faire venir Mme Nathalie, j’eus un réveil de petit fauve : « Oh ! qu’elle ne vienne pas ! Je la giflerais encore ! — En ce cas, me dit-il, je ferai venir Madame votre mère. — Oh ! Monsieur, ma mère ne se dérange jamais ! — Eh bien, j’irai la voir. — C’est inutile. Monsieur, ma mère m’a fait émanciper. Je suis libre de diriger ma vie. Je suis seule responsable de tous mes actes. — Eh bien, Mademoiselle, j’aviserai. »

Et il se leva pour me témoigner que l’entretien était fini.

Je rentrai à la maison, bien décidée à ne rien dire à ma mère, mais ma petite sœur, interrogée sur sa blessure, avait tout raconté à sa façon, amplifiant encore, si c’était possible, la brutalité de la sociétaire et l’audace de mon action.

Rose Baretta, venue pour me voir, avait pleuré, disant que sûrement on allait résilier mon engagement. Toute la famille était excitée, discutante, désolée ; moi, j’étais nerveuse.

Je reçus mal les reproches qui me furent adressés de part et d’autre. Encore plus mal les conseils ; et je m’enfermai dans ma chambre, à double tour de clef.

Le lendemain, toute la maison me boudait. Je montais chez Guérard ; car là, je me réconfortais, me consolais.