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j’étais mal ou bien. « Mon petit’dame » me trouvait trop pâle. Mlle de Brabender me trouvait trop rouge.

Ma mère devait se rendre directement dans la salle. Ma tante Rosine était en villégiature.

Quand l’avertisseur cria qu’on allait commencer, une sueur froide me saisit de la tête aux pieds. Je faillis m’évanouir. Je descendis tremblante, titubante, claquant des dents. Et quand j’arrivai sur la scène, on levait le rideau.

Ce rideau qui se levait lentement, solennellement, me semblait le voile déchiré pour me laisser entrevoir mon avenir.

Une voix douce et grave me fit retourner. C’était Provost, mon premier professeur, qui venait me réconforter. Je lui sautai au cou, heureuse de le revoir. Samson était là aussi ; je crois même qu’il jouait ce soir-là dans une comédie de Molière.

Ces deux hommes si différents : Provost, grand, ses cheveux d’argent en coup de vent, le masque d’un polichinelle ; Samson, petit, pincé, propret, les cheveux blancs, lumineux, en bouclettes serrées et tenaces ; ces deux hommes s’étaient attendris dans un même sentiment de protection pour ce pauvre être fragile, nerveux et si plein de foi, car tous deux savaient mon ardeur au travail, ma volonté tenace qui luttait sans cesse contre ma faiblesse physique.

Ils savaient que ma devise : « Quand même » n’était pas un fait du hasard, mais bien la suite d’un vouloir réfléchi. Maman leur avait raconté comment, à l’âge de neuf ans, j’avais choisi cette devise, après un saut formidable au-dessus d’un fossé que personne ne pouvait sauter, et auquel mon jeune cousin m’avait défiée. Je m’étais abîmé la figure, cassé un poignet, endo-