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Et de la chambre voisine Léontine Massin accourut. Douce, calme, jolie, elle m’enlaça dans ses bras. « Ah ! que je suis contente de te voir ! Tu vas débuter à la Comédie ! J’ai vu ça dans les feuilles. » Je rougis jusqu’aux oreilles. J’étais dans les feuilles !…

« Moi, je vais débuter aux Variétés ! » Et elle parla, parla, si longtemps, si vite, que j’étais étourdie.

Mme Petit restait froide, et essayait très inutilement de nous séparer. Elle avait répondu par un signe de tête et par un « Pas mal, merci » aux questions que lui posait Léontine sur la santé de sa fille.

Enfin l’expansion de la jolie fille achevée, elle put me dire : « Il faut commander votre boîte, nous sommes ici pour cela. — Ah ! bien, tu trouveras papa dans le fond, à son établi ; et si tu n’en as pas pour longtemps, je t’attendrai. Je vais répéter aux Variétés. »

Mme Petit, suffoquée, s’écria : « Mais non ! c’est impossible ! » Elle n’aimait pas Léontine Massin. Cette dernière, agacée, lui tourna le dos en haussant les épaules. Puis, son chapeau mis, elle m’embrassa et, saluant gravement Mme Petit : « J’espère, Madame Gros-tas, ne plus vous revoir jamais ! » Et elle disparut dans un éclat de rire frais et jeune. J’entendis ma compagne murmurer en hollandais quelque méchante remarque dont je n’eus le sens que plus tard.

Nous pénétrâmes dans la dernière pièce du logis, et nous trouvâmes le père Massin à son établi, rabotant des petites planches de bois blanc. La bossue allait, venait, chantait, joyeuse ; le père restait sombre, dur, inquiet.

La boîte commandée, nous nous retirions, Mme Petit passant la première, la sœur de Léontine me retint par