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voulaient m’entraîner, ces spectres… Je mis mes deux mains sur mes yeux et restai sans bouger.

« Êtes-vous souffrante ? — Non, non, merci… Un éblouissement, cher Monsieur. Non, merci. » La voix de M. Davenne avait chassé les spectres.

Je rouvris les yeux, et me prêtai de bonne grâce aux conseils du brave homme, qui, la brochure en main, m’expliquait les places que je devais occuper, les passades que je devais faire, etc., etc.

Il fut assez content de ma façon de réciter. Il m’enseigna quelques traditions. Il me dit notamment ceci : « À cet endroit, Mlle Favart faisait un gros effet. » Ce vers était :

Eurybate, à l’autel conduisez la victime.

Les artistes arrivaient peu à peu, grognons, me jetaient un regard et répétaient leur scène sans se soucier de moi.

J’avais envie de pleurer. Mais j’étais surtout vexée. J’entendis trois gros mots lancés par les uns et les autres. Je n’avais pas encore l’habitude de ce langage un peu brutal. Chez ma mère on était timoré. Chez ma tante on était précieux. Et je n’ai pas besoin de dire qu’au couvent je n’avais jamais entendu un mot malséant. Je sortais du Conservatoire, c’est vrai, mais je ne frayais avec personne, sauf avec Marie Lloyd et Rose Baretta, la sœur aînée de Blanche Baretta, aujourd’hui sociétaire de la Comédie-Française.

La répétition finie, il fut convenu qu’on répéterait le lendemain au foyer du public, à la même heure.

La costumière vint me chercher pour essayer mon costume. Mlle de Brabender, qui était venue me re-