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Maubant, avec… Et je tremblais, Mme Devoyod passant pour peu indulgente.

J’arrivai à la répétition une heure en avance.

Le régisseur, le brave Davenne, se prit à sourire, et me demanda si je savais mon rôle. « Oh ! oui, m’écriai-je, convaincue. — Venez me le répéter, voulez-vous ? » Et il m’emmena sur la scène.

Je traversai avec lui le long couloir des bustes, qui conduit du foyer des artistes à la scène.

Il me dit les noms célèbres que tous ces bustes évoquaient. Je m’arrêtai un instant devant celui d’Adrienne Lecouvreur. « J’aime cette artiste ! lui dis-je. — Vous connaissez son histoire ? — Oui, j’ai lu tout ce qu’on a écrit sur elle. — C’est très bien, ma chère enfant, me dit l’aimable homme. Il faut, en effet, lire tout ce qui concerne votre art. Je vous prêterai quelques livres intéressants. »

Et il m’entraîna vers la scène.

La pénombre mystérieuse, les décors droits en remparts, la nudité du plancher, la quantité innombrable de cordes, de poids, d’arbres, de frises et de herses, suspendus au-dessus de ma tête, le gouffre de la salle complètement noire, le silence troublé par le craquement du plancher, le froid de cave qui vous saisissait… tout cela m’effraya. Il ne me semblait pas entrer dans le cadre rayonnant d’artistes vivants qui, chaque soir, soulevaient les applaudissements de la salle par leurs rires ou leurs sanglots. Non. Je me trouvais dans le caveau des gloires mortes. Et il me sembla que la scène se remplissait des ombres illustres que venait de me nommer le régisseur.

Mon imagination nerveuse et perpétuellement évocatrice les voyait s’avancer, me tendre la main. Ils