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Je rentrai à la maison tout autre. Je restai longtemps assise, toute vêtue, sur mon lit de jeune fille.

Je ne connaissais la vie qu’à travers le travail et la famille. Je venais de l’entrevoir à travers le monde. L’hypocrisie des uns, la fatuité des autres, m’avaient frappée.

Je me demandai avec anxiété ce que je ferais moi si timide et si franche. Je pensai à ce que faisait maman. Mais elle ne faisait rien. Tout lui était égal. Je pensai à ma tante Rosine. Elle, tout au contraire, se mêlait de tout.

Je restai les yeux fixés à terre, le cerveau brouillé, le cœur inquiet ; et je ne me décidai à me mettre au lit que lorsque le froid m’eut saisie.

Les jours suivants se passèrent sans incidents. Je travaillais Iphigénie avec acharnement, M. Thierry m’ayant prévenue que c’était par ce rôle que je débuterais.

En effet, je fus convoquée pour la répétition d’Iphigénie à la fin d’août. Ah ! ce premier bulletin de répétition ! Quel battement de cœur il m’a donné !…

Je ne dormis pas de la nuit. Le jour ne venait pas assez tôt. Je me levais constamment pour regarder l’heure. Il me semblait que la pendule s’était arrêtée. J’avais somnolé, et m’éveillai stupéfaite de trouver encore la nuit, alors que je me croyais au petit jour.

Enfin un filet de lumière traversant les carreaux me sembla le soleil triomphant éclairant ma chambre. Je me levai brusquement, tirai les rideaux fermés ; et tout en m’habillant, je marmonnai mon rôle.

Je pensais que j’allais répéter avec Mme Devoyod, la première tragédienne de la Comédie-Française, avec