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M. Thierry, alors directeur de la Comédie. Qu’est-ce que je mettrai ? Voilà la grosse affaire…

Maman avait envoyé chez la modiste. Elle accourut de suite avec les chapeaux ; et j’en choisis un, blanc, piqué, avec un tour de tête bleu ciel, des brides bleues et un bavolet blanc. Ma tante Rosine avait envoyé une robe à elle ; car toutes mes robes étaient trop… fillette, pensait ma mère.

Oh ! cette robe ! Je la verrai toute ma vie : elle était hideuse, vert-chou, avec des grecques en velours noir. J’avais l’air d’un singe, dans cette robe ; mais je dus la mettre. Heureusement qu’elle était couverte par un manteau, don de mon parrain, un joli manteau en gros-grain noir avec des piqûres blanches tout autour. On pensait qu’il fallait m’habiller en dame, et ma garde-robe était pour fillette.

Mlle de Brabender m’offrit un mouchoir qu’elle avait brodé, et Mme Guérard une ombrelle ; maman m’avait donné une bague, une jolie turquoise.

Le lendemain, ainsi parée, jolie sous ma capote blanche, gênée dans ma robe verte, mais consolée par mon manteau de dame, je me rendis avec Mme Guérard chez M. Thierry, dans la voiture de ma tante, qui avait tenu à me la prêter, pensant que ce serait plus convenable.

J’appris plus tard que cette arrivée dans la voiture à laquais avait fait très mauvais effet. Qu’avaient pensé tous les gens du théâtre ? Je n’ai pas voulu l’approfondir. Il me semble que ma jeunesse devait me préserver de tout soupçon.

M. Thierry me reçut avec douceur, me fit un petit discours amphigourique ; puis il déplia un papier qu’il remit à Mme Guérard, la priant d’en prendre connais-