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satisfait : « Il faut lui faire prendre l’air, dit-il à ma mère ; je paie un landau. »

La promenade me parut délicieuse, car je pouvais rêver, maman détestant parler en voiture.

Deux jours après, la vieille bonne Marguerite me remit, tout essoufflée, une lettre. Elle portait au coin de son enveloppe un large timbre autour duquel flamboyaient les mots : Comédie-Française.

J’interrogeai ma mère du regard : elle me fit signe que je pouvais ouvrir cette lettre, après toutefois avoir réprimandé Marguerite de me remettre une lettre sans son consentement.

« C’est pour demain, maman !… C’est pour demain !… Je suis convoquée à la Comédie !… Tiens, tiens, lis !… » Mes sœurs étaient accourues. Elles me prirent les mains, et je me mis à tourner avec elles en chantant : « C’est pour demain !… C’est pour demain !… »

Ma sœur cadette avait huit ans. Mais moi, ce jour-là, j’en avais seize.

Je grimpai à l’étage supérieur prévenir Mme Guérard, que je trouvai en train de savonner les robes blanches et les tabliers de ses enfants. Elle me prit la tête et m’embrassa tendrement, ses deux mains pleines de mousse savonneuse me laissant de chaque côté une grande plaque neigeuse. Je redescendis ainsi quatre à quatre et fis une entrée bruyante dans le salon. Mon parrain et M. Meydieu, ma tante et maman commençaient un whist. Je les embrassai tous à tour de rôle, leur laissant en riant un peu de mousse sur le visage. Mais, ce jour-là, tout m’était permis. J’étais un personnage.

C’était le lendemain, mardi, que je devais me rendre à une heure au Théâtre-Français pour être reçue par