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lueur de ma veilleuse. J’y parvins avec peine et pus lire ces lignes écrites par « mon petit’dame » (Mme Guérard) :

Pendant que vous dormiez, le duc de Morny a envoyé un mot à votre mère, lui disant que Camille Doucet venait de lui affirmer que votre engagement à la Comédie-Française était chose convenue. Donc, ne vous faites pas de chagrin, ma chère enfant, et ayez confiance dans l’avenir. — Votre petit’dame.

Je me pinçai pour m’assurer que j’étais bien éveillée. Je me précipitai vers la fenêtre. Je regardai dehors. Le ciel était noir. Oui, noir pour tout le monde, mais étoile pour moi. Oui, les étoiles brillaient. Je cherchai la mienne, et je fis choix de la plus grosse, de la plus brillante.

Je revins à mon lit et m’amusai à sauter dessus à pieds joints. Et quand je manquais mon coup, je riais comme une folle.

J’avalai tout mon chocolat. Je faillis m’étouffer en mangeant ma brioche.

Debout sur mon traversin, je fis un long discours à la petite Vierge placée à la tête de mon lit. J’adorais la Vierge. Je lui expliquai les raisons pour lesquelles je ne pouvais prendre le voile malgré ma vocation. Je faisais du charme. J’essayai de la persuader, et je l’embrassai tout doucement sur son pied qui écrasait le serpent. Puis je cherchai dans l’ombre le portrait de maman. Je l’entrevis mal et lui envoyai des baisers.

Je pris la lettre de « mon petit’dame » dans le creux de ma main et je me rendormis.

Quels furent mes rêves ?


Le lendemain, tout le monde fut bon pour moi. Mon parrain, arrivé de bonne heure, hochait la tête d’un air