Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/130

Cette page a été validée par deux contributeurs.

dons nécessaires à l’éclosion de mon autre rêve : devenir la première, la plus célèbre, la plus enviée. Et j’énumérais sur mes doigts toutes mes qualités : — de la grâce, — du charme, — de la distinction, — de la beauté, — du mystère et du piquant.

Oh ! tout ! tout ! Je trouvais que j’avais tout cela. Et quand ma logique et ma bonne foi élevaient un doute, ou un mais… à cette nomenclature fabuleuse de mes qualités, mon « Moi » combatif et paradoxal trouvait la réponse nette, tranchante et sans réplique.


C’est dans ces conditions spéciales, dans cet état d’esprit que je me présentai en scène lorsque vint mon tour.

Le choix de mon concours était stupide : une femme mariée raisonnable et raisonneuse. Et j’étais une enfant paraissant bien plus jeune que mon âge. Je fus néanmoins très brillante, très raisonneuse, très gaie ; et j’eus un succès étourdissant.

J’étais transfigurée. Folle de joie, je tenais mon premier prix ! Oh ! je ne doutais pas qu’il me fût adjugé à l’unanimité.

Le concours finit. Pendant le délai nécessaire au comité pour le débat des récompenses, je demandai de quoi me restaurer. Et on fit venir, de chez le pâtissier du Conservatoire, une côtelette que je dévorai, à la grande joie de Mme Guérard et de Mlle de Brabender, car je détestais la viande et je refusais toujours d’en manger.

Enfin, les membres du comité prirent place dans leur grande loge. Le silence se fit dans la salle. Sur la scène, les jeunes gens furent appelés d’abord.

Pas de premier prix.

Puis le nom de Parfouru fut appelé pour recevoir le