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lait, avant tout, tenir compte des notes de mes examens, qui étaient admirables, et de mes notes de classes, qui étaient les meilleures. Rien ne prévalut sur le mauvais effet produit ce jour-là par ma voix nasale, ma figure gonflée, et les mèches lourdes de ma chevelure.

Après une demi-heure d’entr’acte pendant laquelle on me fit boire du porto et manger une brioche, on frappa pour le concours de comédie.

Je passais la quatorzième en comédie. J’avais donc le temps de me remettre tout à fait.

Et puis je me sentais gagnée par mon instinct batailleur. L’injustice me révoltait. Je n’avais pas mérité mon prix ce jour-là, mais je sentais bien qu’on aurait dû me le donner quand même. Je résolus d’avoir le premier prix de comédie.

Et, avec l’exagération que j’ai toujours apportée en toute chose, je me montai la tête : je me déclarai à moi-même que si je n’avais pas le premier prix, je devais renoncer au théâtre. Mon amour mystique et attendri pour le couvent me reprit de plus belle.

Oui, j’irai au couvent. Mais seulement si je n’avais pas le premier prix.

Il se livrait dans mon frêle cerveau de jeune fille le combat le plus fou, le plus illogique qu’on puisse rêver. Je me sentais toutes les vocations vers le couvent, dans ma détresse de mon prix manqué ; et toutes les vocations pour le théâtre, dans l’espoir du prix à conquérir.

Je me reconnaissais, avec une partialité bien naturelle, le don de toutes les abnégations, de tous les renoncements, de tous les dévouements qui devaient m’asseoir doucement sur le fauteuil de la mère Présidente du couvent de Grand-Champs. Et je m’adjugeais, d’autre part, avec une libéralité indulgente, tous les