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J’entendis une voix de femme qui disait : « Pauvre petite, on n’aurait pas dû la laisser concourir. Elle a un rhume atroce, son nez coule et sa figure est tuméfiée… »

Je terminai ma scène. Je fis ma révérence et me retirai au milieu de maigres et plaintifs applaudissements. Je marchais en somnambule, et fus reçue évanouie dans les bras de Mme Guérard et de Mlle de Brabender.

On fit demander un médecin dans la salle, et le bruit circulant : « La petite Bernhardt s’est évanouie ! La petite Bernhardt est tombée sans connaissance ! » arriva jusqu’à ma mère, qui, blottie au fond d’une loge, s’ennuyait mortellement.

Quand je revins à moi, mes yeux s’ouvrirent sur le beau visage de maman. Une larme perlait suspendue à ses longs cils. Je mis ma tête contre la sienne et je pleurai silencieusement ; mais cette fois des larmes douces, sans sel, qui ne me brûlaient pas les paupières.

Je me mis debout, défripai ma toilette et me regardai dans la glace verdâtre. J’étais moins laide. Mon visage était reposé ; mes cheveux avaient repris leur souplesse ; enfin j’étais mieux que tout à l’heure, sûrement. Le concours de tragédie était terminé. On avait nommé les prix.

Je n’avais rien eu comme récompense. On avait fait le rappel de mon second prix de l’an passé. J’étais bredouille.

Oh ! cela ne me causa aucun chagrin. Je m’y attendais bien.

Quelques personnes avaient protesté en ma faveur. Camille Doucet, membre du jury, avait discuté longtemps, paraît-il, pour me faire donner mon premier prix, malgré mon mauvais concours, disant qu’il fal-