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Enfin, je me dressai triomphante, sans épingles, sans saucisses !

Mais mes pauvres cheveux, alourdis par la moelle de bœuf dont ce misérable coiffeur les avait enduits, séparés par les raies nécessaires pour l’éclosion de ses saucisses, mes pauvres cheveux tombaient en mèches éplorées et grasses autour de mon visage. Je secouai ma tête pendant cinq minutes avec une rage folle. Je parvins à les décoller un peu. Et je les relevai tant bien que mal avec deux épingles.

Mais le concours était commencé. Je passais la dixième. Je ne savais plus ce que j’avais à dire.

Mme Guérard me mouillait les tempes avec de l’eau fraîche…

Mlle de Brabender, qui venait d’arriver, me regardait sans me reconnaître et me cherchait partout. La pauvre s’était cassé la jambe il y avait à peine trois mois. Elle se soutenait avec une canne-béquille ; mais elle avait voulu venir.

Mme Guérard commençait à lui raconter le drame des cheveux… lorsque mon nom retentit dans la salle : « Mademoiselle Chara Bernhardt ! »

C’était Léautaud, qui devint plus tard souffleur à la Comédie-Française, et qui avait un fort accent auvergnat.

« Mademoiselle Chara Bernhardt !… »

Je me levai d’un bond, sans penser à rien, sans dire un mot, cherchant des yeux l’élève qui devait me donner la réplique.

J’entrai avec lui en scène.

Je fus surprise par le son de ma voix que je ne reconnus pas. J’avais tant pleuré que mon cerveau s’était pris ; et je parlais du nez.