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J’étais hideuse ! Mon front, que j’entrevoyais toujours sous la mousse dorée de mes cheveux, me semblait immense, implacable. Je ne reconnaissais pas mes yeux, habituée que j’étais à les voir voilés par l’ombre de ma chevelure. Ma tête pesait un kilo.

Moi qui me coiffais et me coiffe encore avec deux épingles, cet homme en avait mis cinq ou six paquets. C’était lourd sur ma pauvre tête !…

J’étais déjà en retard. Il fallait m’habiller à la hâte. Je pleurais de rage. Mes yeux rapetissaient, mon nez grossissait, mes veines se gonflaient.

Mais ce fut le comble quand je dus mettre mon chapeau. Il ne pouvait tenir sur le paquet de saucisses. Ma mère m’enveloppa vivement la tête d’une dentelle et me poussa vers la porte.

Arrivée au Conservatoire, je me précipitai, avec « mon petit’dame », vers la salle d’attente. Maman s’était rendue dans la salle. J’arrachai la pauvre dentelle qui couvrait mes cheveux, et, accroupie sur un banc, je livrai ma tête à mes compagnes après avoir, en quelques mots, raconté l’odyssée de ma coiffure.

Toutes adoraient et enviaient mes cheveux si souples, si légers, si dorés. Toutes prenaient pitié de mon chagrin. Toutes avaient été émues par ma laideur, sauf les mères, qui crépitaient de joie dans leur mauvaise graisse.

Toutes ces jeunes mains enlevaient les épingles. Et Marie Lloyd, une ravissante créature avec laquelle j’étais plus liée que les autres, prit ma tête qu’elle embrassa tendrement : « Oh ! tes beaux cheveux ! qu’est-ce qu’on en a fait ? » Et elle achevait d’enlever les épingles. Cette tendresse me fit à nouveau fondre en larmes.