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cinq minutes en disant : « Quels cheveux ! mon Dieu ! C’est horrible ! C’est de l’étoupe ! Ce sont des cheveux de négresse blonde ! »

Puis se tournant vers ma mère : « On devrait faire raser Mademoiselle et régenter sa chevelure pendant qu’elle pousserait. — J’y songerai… » avait dit maman, distraite. Je me retournai si brusquement vers elle, que je fus brûlée au front par le fer à friser que tenait cet homme. Et ce fer servait à me défriser !

Oui, il trouvait que mes cheveux frisaient… avec dérèglement ; qu’il fallait les défriser pour les onduler, ce qui était plus noble au visage :

« Les cheveux de Mademoiselle sont arrêtés dans leur croissance par cette frisure folle ! Toutes les filles de Tanger et toutes les négresses ont des cheveux semblables ! Et Mademoiselle, qui se destine à la scène, serait bien plus belle si elle avait les cheveux de Madame… » dit-il en s’inclinant avec un respect admiratif vers ma mère, qui avait en effet les plus beaux cheveux du monde : blonds, et tellement longs qu’elle se tenait debout, la pointe de ses cheveux sous ses talons, et qu’elle pouvait baisser la tête. Il est vrai de dire que maman était toute petite.

Enfin, je sortis des mains de ce misérable, morte de fatigue, par une heure et demie de coups de peigne, de coups de brosse, de coups de fer, de coups d’épingles, de coups de doigts pour tourner ma tête de gauche à droite, puis de droite à gauche, etc., etc. J’étais défigurée, je ne me reconnaissais plus…

Les cheveux tirés sur les tempes, les oreilles visibles et détachées, inconvenantes dans leur nudité ; et, au-dessus de ma tête, un paquet de petites saucisses rangées les unes près des autres pour imiter le diadème antique.