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Maman n’a jamais su cette petite supercherie, dont ma chère Brabender se faisait complice, non sans remords.

Je ne manquais pas une classe. Je me rendais même aux leçons de maintien, où ce pauvre M. Élie, vieux beau, frisé, fardé et jaboté de dentelles, nous faisait le cours le plus comique qu’on puisse imaginer. Nous étions peu nombreuses à ce cours.

Aussi le père Élie se vengeait sur nous de l’abstention des autres. À chaque classe, nous y passions toutes. Il nous tutoyait, le père Élie. Nous étions sa chose. Et, toutes, les cinq ou six que nous étions, nous devions grimper sur la scène. Lui, debout, sa baguette noire à la main (pourquoi cette baguette ?) : « Allons, Mesdemoiselles, le corps rejeté en arrière, la tête haute, la pointe du pied en bas…, là… parfait… Un, deux, trois, marchez ! » Et nous marchions, la pointe du pied en bas, la tête haute, la paupière tombante sur l’œil qui cherchait à voir où se posait le pied. Nous marchions avec la noblesse et la solennité des chameaux.

Puis il nous apprenait à sortir avec nonchalance, dignité ou fureur. Et il fallait voir ces jeunes filles se dirigeant vers les portes, traînant le pas, le redressant ou le pressant selon le sentiment qui devait les animer.

Puis, il y avait les : « Assez, Monsieur ! sortez ! » sans parler. Car le père Élie ne voulait pas qu’on murmurât un seul mot : « Tout, disait-il, est dans le regard, le geste, l’attitude. »

Il avait aussi ce qu’il appelait « l’assiette », c’est-à-dire s’asseoir avec dignité, se laisser tomber avec lassitude. Et « l’assiette » qui disait : « Je vous écoute : Parlez, Monsieur !… « Ah ! cette assiette-là était d’un compliqué fou ; il fallait tout mettre, dedans : le désir de